Jacky Blot, récompenser la patience
Paul-Emmanuel Patacq DipWSET
3/20/20236 min lire
3H de route plus tard, 10h du matin, sous une pluie battante à Montlouis sur Loire.
Nous nous présentons devant la porte en bois massif. Un rapide coup d’œil nous intime que la demeure était la bien avant notre arrivée sur terre et qu’elle le restera encore bien longtemps après. C’est Mr Blot, le propriétaire, qui nous ouvre alors la porte. Nous nous présentons, Madame, diplômée d’un master d’une école de management hôtelier ayant œuvré au sein d’un palace parisien et à l’étranger, passionnée de gastronomie. Moi issu de la même formation et titulaire du WSET Diplôma (niveau 4) que Monsieur Blot semble bien connaître. Elle souhaite créer son projet dans l’univers de la gastronomie. Pour ma part, je mets à l’honneur chaque mois un nouveau vigneron qui par son travail, son histoire et sa philosophie produit des vins qui méritent à tout prix d’être découverts. Ceci explique en grande partie la raison de notre présence. Nous passons alors de l’entrée au salon de l’autre côté de la maison. Pendant ce temps nous traversons des pièces qui nous renvoient dans une autre époque. Nul doute qu’en été l’épaisseur des murs doit conserver la fraicheur, car en cette matinée de janvier, il fait froid à l’intérieur.
Nous, nous installons alors à Table, il nous présente un verre Riedel, ainsi commence la dégustation.
Effervescent
« Triple 0 » le vin effervescent ouvre le bal.
0 Chaptalisation, 0 Liqueur de tirage, 0 liqueur d’expédition. S’il s’agit d’un vin effervescent produit selon la méthode traditionnelle (ou champenoise), il s’agit bien du seul point commun entre le champagne et son vin. Contrairement à la champagne ou les raisins sont vendangés à peine mur, ici les chenins sont vendangés à maturité.
L’élevage de 9 mois sur latte intime une aromatique secondaire discrète, le primaire domine, pommes, poires, coing, jasmin. La bulle est fine, l’équilibre demeure, le chenin délivre ses délicats amers complexifiant l’ensemble. L’intensité aromatique subsiste, la complexité se dessine ouvrant alors la voie à une belle longueur. 87/100
Blancs secs
Ce sont Les blancs, eux, qui nous ont épaté. Ils sont déclinés en parcelles, chacune ayant un terroir qui lui est propre.
Force est de constater qu’il y a une patte. Le style de chenin délivré est semblable à nul autre. Vif, pur, en finesse sans une once d’exubérance.
Pour rappel, le chenin est un cépage relativement neutre sur le plan aromatique, comparé à d’autres cépages tels que le viognier, le riesling ou encore le sauvignon blanc. En revanche il a tendance à épouser à merveille les élevages en fût de chêne (carrément les fermentations ici). La micro-oxygénation que permet le fût, offre la possibilité d’assouplir et d’arrondir les angles de ce cépage avec une acidité naturellement élevée et de lui conférer une structure plus ample au palais. De plus, d’éventuelles notes secondaires conférées par le bois (cannelle, clous de girofle, léger toasté) peuvent engendrer de la complexité sur ce vin.
À cela il faut ajouter, les fermentations en levures indigènes qu’opère Jacky Blot pouvant durer 4 à 5 mois en comparaison aux 2 à 3 semaines conventionnelles. « Le fait est que cela amène plus de matière en bouche ce style de fermentation, les levures fermentent très doucement, elles sont en permanence en suspension emmenant par conséquent cette structure que l’on essaie de rechercher au travers des batonnages. » À titre de comparaison, les batonnages sont effectués une à deux fois par jour post fermentation pour les extrémistes de la pratique 1 fois de temps en temps chez les moins chevronnés. Chez Blot, les levures fermentent en continu et c’est grâce à cela que l’on extrait plus de matière.
Les aromatiques de granny Smith, poire conférence, de coing et de jasmin vont et viennent en fonction des cuvées, plus ou moins marqués. Certaines plus florales, d’autres plus solaires et marquées par le fruit. La finesse constitue néanmoins le fil conducteur de l’ensemble des cuvées dégustées. Il n’y a pas de fausse note. Toujours purs, ciselés. L’équilibre est toujours présent entre l’amplitude naturelle du Chenin sur de grands terroirs cumulé à une fermentation en barrique maitrisée et de vives acidités.
Son ambition : produire des vins qui sauront traverser le temps. Si dans leur jeunesse les vins semblent guidés par la minéralité, la vivacité, les légers amers, l’âge, lui, révèle tout le potentiel de ces grands chenins. Les Hauts de Husseau dégustés sur le millésime 2021 puis 2012 en sont l’illustration la plus parfaite. Avec le temps les éléments semblent s’accorder. L’acidité s’assagit, s’intégrant plus finement à l’ensemble, l’aromatique primaire persiste et se marie à merveille avec les notes secondaires et tertiaires notamment. La truffe blanche et le miel confèrent une noblesse singulière au vin. L’équilibre est merveilleux, l’intensité aromatique est marquée et élégante. La finale persiste et s’inscrit dans un registre de finesse. 93/100
Jacky Blot nous explique alors que les notes truffées ne sont pas toujours acquises. Elles semblent se développer dans les millésimes ou la maturité a été atteinte sur le fil du rasoir. 2012 – 2008 – 2002 – 1996 en font partie.
Rouges
La dégustation se poursuivra jusqu’à tard dans la matinée avec les rouges de l’AOC Bourgueil du Domaine de la Butte, l’autre Domaine racheté par Jacky en 2002. Eux aussi s’inscrivent dans la suavité, sans recherche d’opulence. Les Cabernets Francs y sont élégants, mûrs, croquants.
L’appellation est réputée plate, les cuvées sont également créées selon une logique parcellaire. Comme le nom l’indique, les parcelles se partagent une butte variant de 60 à 110 mètres d’élévation. D’un vin à l’autre, les différences sont flagrantes. Le pied de la bute est destiné à remplir le rôle du vin agréable, accessible pour l’ensemble des palais. Fruits rouge croquants, cerise, groseille, fraise et violette et de légères notes toastées et épicées. Le cabernet est vif, tranchant avec une structure suffisante le rendant agréable. Les tannins bien présent avec un grain sans agressivité. L’équilibre est somme toute présent permettant au vin de délivrer une finale agréable. 83/100
Le Haut de la Butte 2020.
La partition est plus florale que sur le vin précédent. Violette, pétales de rose, cerise rouge, groseille, fraise le tout avec un apport épicé renvoyant aux clous de girofle. L’acidité est élevée, les tannins medium+ d’un grain plus fin. La finale, elle, est plus longue. 87/100
Les perrières 2020 Sur sols calcaires.
L’aromatique est bien plus infusée et élégante sur ce vin. La complexité est bel et bien présente, fruits rouges croquants et fleurs fraîches mais également séchées à l’image de la violette. L’équilibre demeure entre acidité élevée tannins medium+ d’une texture fine et l’intensité aromatique. Le vin délivre alors une finale toute en délicatesse. La patience est de mise ici, 2020 est jeune et plein de fougue. 90-92/100
Mi-Pente 2020 Sans doute le joyau de l’ensemble des vins rouges. La structure est impressionnante. L’intensité aromatique est élevée. La rose et la violette dominent les échanges, elles sont néanmoins accompagnées de groseille, cerise rouge croquante, fraise, framboise. Les clous de girofle complexifient l’ensemble, finalement une touche de violette séchée se dessine lentement. Acidité élevée, tout comme les tannins au grain fin. L’intensité aromatique et la structure au palais s’affirment. Finalement l’équilibre entre ces éléments délivre cette longueur qui caractérise les grands vins. À garder 92-94/100
Liquoreux
Nous finissons la dégustation par un retour sur les vins blancs, liquoreux cette fois-ci. L’acidité naturelle du Chenin est telle que même des taux de sucres élevés comme c'est le cas de Romulus (170g/L de sucres résiduels) sur certains vins n’apparaissent pas comme tel. Au contraire les vins sont aériens, délicats, sculptés avec finesse, sans la moindre once d’opulence. La cuvée des loups 1997 dégustée prouve alors que ses chenins ont une capacité à traverser justifiant alors jalousie et convoitise. Cette cuvée conserve toute sa fraicheur et sa jeunesse. Une intensité marquée, écorce d’orange, mandarine, fruits frais, et fruits secs à l’image de l’abricot. Le miel lie l’ensemble avec finesse. Il sera intéressant de déguster ce vin de nouveau dans 10 ans. 92/100
Des vins fins, affirmés, aériens, taillés pour la garde. Ils sont façonnés par un personnage avec qui nous avons éprouvé beaucoup de plaisir à échanger et déguster. Un moment hors du temps. Un domaine à découvrir, absolument.
Paul-Emmanuel Patacq DipWSET
Pavl Emmanvel
@pavl.emmanvel